Ce samedi 14 septembre, c’est sous la pluie battante et le ciel gris de Paris que nous rejoignons ceux qui passeront à la casserole des questions et de l’intérêt prononcé qui leur est porté. À proximité des Halles, le centre Georges Pompidou, longtemps décrié par les Parisiens, géant aux tubes de couleurs, nous fait plonger à l’intérieur de ses plus ternes entrailles, au Studio 13-16. Il est 14 heures, levé de rideau sur cette culture encore méconnue du plus grand nombre, le Voguing, et plongée immédiate guidée par le maestro de ce projet qu’est la House of HMU, Frédéric Nauczyciel .
Une fois les portes battantes du studio franchies, c’est une salle aux lumières enveloppantes et au parquet brillant comme ceux qui le « travaillent » que l’on découvre. Eux, ce sont des danseurs, et plus précisément des vogueurs, réunis dans cette « salle du temps », ce laboratoire à l’initiative du plasticien et photographe Frédéric Nauczyciel. La musique house et les voguebeats accompagnent les voix encourageantes des danseurs ; ici, pas ou peu de femmes et pourtant, ce sont des éclats de féminité qui jaillissent sous nos yeux, des explosions de dips (façon dramatisée de tomber au sol), des talons aiguilles qui taquinent les baskets, des rires en pagaille qui animent ce workshop rythmé par les marées de ceux qui se greffent, puis partent ou reviennent pendant 4 heures.
La danse Voguing, née dans les années 1960 aux États-Unis, puise sa source dans les prisons où certains détenus, pour éviter d’en venir aux mains, imitaient les poses des magazines qu’on leur donnait comme «VOGUE » ou « RUNWAY ». La discipline elle-même se divise en plusieurs catégories, le Runway (où l’on défile comme sur un podium), le Oldway (basé sur des mouvements de mains droits et précis), le New Way (contorsionnez-vous, s’il vous plaît), et le Vogue Fem entre autres (dont le but est, à la façon d’une drama Queen, de « clasher » le mieux et le plus efficacement possible l’autre). Voilà pour la petite histoire non exhaustive mais essentielle pour comprendre l’enjeu politique et social de ce mouvement de « résistance poétique », dixit F. N. Car les initiateurs n’étaient autres que des afro-américains gays issus de milieux défavorisés (cf le contexte américain des années 1960, MLK et cie) très souvent rejetés par leur famille, et qui trouvaient dans les House de Vogue (dans lesquelles les « parrains » à l’entrée sont une Mother et un Father), un nid dans lequel ils pouvaient non seulement se réfugier, mais aussi s’exprimer et être eux-mêmes pour eux-mêmes, par eux-mêmes.
Cette réalité implacable, Frédéric explique la retrouver à Paris, où les jeunes Vogueurs, qui pour la plupart viennent de banlieue, ne se reconnaissent pas nécessairement dans la communauté blanche et gay, et ont trouvé dans le Voguing un exutoire. Pendant 10 jours, il va travailler avec le plus de monde possible, puis choisir ceux qu’il captera, filmera, enregistrera pour la projection d’un film qui aura lieu les 5 et 6 octobre. Sa démarche est celle d’une création visuelle, d’images vivantes tirées du laboratoire où la mise en danger prime et qui, dans le rendu, ne correspondront pas à un simple produit prêt à consommer et rejeter aussitôt : ce qui lui importe, c’est l’expérience traversée par le public, l’implication de ce dernier et sa capacité à « s’immerger à l’intérieur de la matière » .
Avec des solos comme celui de Dale par exemple, le spectateur mis à nu à travers le regard que porte le danseur sur lui, va rentrer dans une forme d’introspection qui mènera peut-être à une plus grande acceptation de soi…
Et si ce regard, c’était le sien ? Frédéric Nauczyciel souligne cependant que le but à travers ce grand atelier n’est pas de performer, mais d’être. Finalement, le Voguing extraordinairement extravagant ne sera pas forcément ce qu’on doit retenir de tout cela. Si la danse est là, c’est parce qu’elle découle directement de l’être-au-monde de ces vogueurs, pas parce qu’elle est poursuivie comme une finalité à voir et à consommer. Le slogan ressemble étrangement au « Venez comme vous êtes » du MacDo, et n ‘en épouse en aucun cas la stratégie : ici on est ce qu’on est, en toute sincérité, on partage, on apprend, on regarde, on se laisse envoûter par ces chants de sirène et leurs mouvements gracieusement agressifs, « on danse (le voguing) pour ne pas sombrer, pour ne pas tomber », comme un poing en l’air en signe de résistance, un talon bien ancré dans le sol.
Il est 18 heures, les portes se referment et derrière nous, nous laissons la House of HMU, pour Hit Me Up ou Hold My Unicorn (ces animaux légendaires souvent présents dans les Bals de Vogue) continuer dans l’ombre cette fois, le travail engagé dès cette première journée. On espère que la place de choix au Centre Pompidou permettra d’inscrire cette culture dans la durabilité de son art, en accord avec le souhait de Frédéric Nauczyciel, et de lui donner une visibilité sur le long terme, pas contre les autres cultures ou pour les effacer, mais juste pour trouver sa place au Soleil, même dans un Paris-gris. Pari pris.
Pour plus de détails et d’informations sur la culture Voguing, à Paris, likez la page Facebook
Ou visionnez le documentaire culte « Paris is burnin » :
Sons : Kevin JZ Prodigy
Vous pouvez suivre le travail et l’actualité de Frédéric Nauczyciel.
Et avant tout, assister aux différents ateliers et formes dessinées par les corps des danseurs passionnés et « dans la vie » au Centre Pompidou, jusqu’au 6 octobre.
Courez-y, c’est presqu’un ordre !
By Liya.E